|Phèdre : scène d'exposition|
Phèdre, de Racine : Acte I, scène 1. _
[Plan détaillé de commentaire composé non corrigé ; il s'agit de mes notes pour un oral de littérature, en première année de fac de lettres.]
I)
1) Théramène, le confident servant les intérêts de la scène
d’exposition.
~ Théramène = gouverneur et ami d’Hyppolite. Rôle
du confident commun à toutes les
tragédies : les personnages nobles sont accompagnées de gens de confiance
à qui ils peuvent confier leurs secrets et leurs tourments.
-> Bien pratique pour révéler les clés de l’intrigue, en particulier
dans les scènes d’exposition > incite les personnages à se livrer, même si
le confident est déjà au courant de leurs tourments (cf. scène d’exposition du Cid).
~ L’amitié est une valeur
importante, un sentiment « noble ».
Relation respect/amitié mise en exergue par le rythme :
« Aimeriez-vous|Seigneur ? / Ami| qu’oses-tu dire ? »
Néanmoins, c’est ici un confident qui provoque les confessions plutôt
que de les écouter passivement => scène # concise comme le sont en
règle générale les scènes d’exposition, mais ici elle gagne en naturel dans l’échange dense des deux
personnages > Progression.
~ Théramène = permet également d’apprendre le contexte spatio-temporel au spectateur > environnement mythologique,
évocation de la Grèce, de Thésée, père d’Hyppolite, connu pour ses nombreux
exploits, héros, dieux et créatures divines, Enfers...
-> Racine, dans sa préface, soulève l’influence
capitale des auteurs grecs sur ses écrits (pas de Racine écrivain si pas de
Racine lecteur). Histoire de Phèdre = adaptation d’Euripide, +
corrections pour rendre le tout plus agréable… Particularité de Racine :
tente de rendre l’intrigue la plus vraisemblable possible, tout en
transgressant la règle tragique en conservant les références mythologiques
(« fable »), qui selon lui servent la poésie. Certains passages ne
sont que des traductions de la version grecques (quel exercice de style, pour
Racine !), c’est donc un moyen pour lui de se confronter directement à ses modèles, dans le but de les
dépasser.
~ Théramène = évoque quelques traits de caractère d’Hyppolite (sportif,
sauvage et solitaire). Cf v. 138…
2) Le personnage d’Hyppolite : un anti-héros
~ Personnage d’Hyppolite = anti-héroïque.
Il se présente comme un héros, mais est démasqué par Théramène.
-> Personnage d’Hyppolite construit sur :
- de fausses actions -> 1er
vers évoque son désir de fuite : il veut partir, et aller
chercher son père ; mais il décidera d’ici la fin de la scène de ne pas
s’en aller. Contraste devoir/fuite, suivre son père/fuir un pays qu’il aimait +
contraste symbolisé par le style lui-même : utilisation du futur
(« Je fuirai ces lieux »), v.2 : répète sa décision, évoque
« l’aimable » Trézène => comme un recul.
> D’emblée, il se démarque du héros cornélien qui fait toujours ce qu’il
dit.
- des mensonges, ou de fausses excuses :
il donne plusieurs raisons successives pour justifier son départ :
rejoindre son père, fuir Phèdre, puis Aricie, la femme qu’il aime.
~ Théramène = personnage calme et sensé
qui n’est animé par aucune passion > tempère les emportements d’Hyppolite
(cf. nombreuses interrogations) ; mais quand lui ouvre les yeux, Hyppolite
met en terme à la conversation et s’en va.
II)
1)
Phèdre et Aricie : les amours interdites.
~ Deuxième raison de son départ : vraisemblablement Phèdre, dont l’arrivée est à l’origine d’un bouleversement
> Fausse excuse, Hyppolite refusant l’aveu de son véritable amour, Aricie.
=> Remarquons qu’Hyppolite glisse dans la même
réplique de l’idée de Phèdre à l’image d’Aricie : on pourrait croire
que la première évoque irrémédiablement la seconde ; il ne s’agit plus
d’un mensonge mais d’une association
d’idées propre à Hyppolite, matière à confusion et quiproquo pour
Théramène.
> Ces femmes sont associées dès le début : elles représentent toutes l’amour coupable. Ainsi verra-t-on au
cours de la pièce le rapport étroit entretenu entre la relation
d’Hyppolite/Aricie et Phèdre/Hyppolite (comme en miroir, cf. scènes de la
révélation de l’amour coupable d’Hyppolite à son confident, et de Phèdre à la
sienne, qui se ressemblent beaucoup).
~ Mais en vérité, Hyppolite ne craint plus « l’inimité » de Phèdre ;
mais Racine n’oublie pas que, ayant fait de Phèdre le personnage principal de
sa pièce, il faut en brosser le portrait :
- origines mythologiques :
« fille de Minos et de Pasiphaé », Minos : ordre, justice,
rigueur, et Pasiphaé : désordre, folie, délire ; descendante du
Soleil, donc haïe de Vénus (c’est elle qui est tenue pour responsable de
l’amour incestueux de Phèdre pour Hyppolite).
- Lien avec la fatalité : ce
sont les dieux, c'est-à-dire le destin, qui ont amené Phèdre.
- Théramène évoque son mal mystérieux,
et son désir de mourir. Ton naturel : croit avoir compris pourquoi
Hyppolite veut fuir Phèdre et en rappelle les raisons pour le spectateur
> désignée par périphrases « dangereuse marâtre »… > On apprend
la vive hostilité de Phèdre à
l’encontre d’Hyppolite.
2)
La crainte de l’amour & l’importance du verbe.
~ Ce qui occupe l’esprit d’Hyppolite, c’est l’« autre ennemie ».
=> « Si je la haïssais, je ne la fuirais pas » > litote (cf.
« Va je ne te hais point »), pivot
de la scène. Information nouvelle et pour Théramène, et pour le spectateur.
=> Second malentendu : Théramène ne comprend pas qu’Hyppolite aime
Aricie ; il rappelle au passage qu’elle est la fille de l’ennemi de
Thésée, qui a interdit à quiconque de tomber amoureux d’elle.
~ L’aveu a tardé à venir, pour plusieurs raisons :
- Possible mort du père
(père/fardeau, cf partie III), qui permettrait à Hyppolite d’aimer librement
Aricie.
- Mépris profond de l’amour en lui-même :
fils d’Amazone, + dégoûté par les frasques sentimentales de son père. (cf.
nombreux points d’exclamation)
~ Importance de la parole et de l’aveu (le tragique n’est pas
tant l’action elle-même, mais son aveu.) « Tragédie de la nominalisation » (R. Barthes) >
Usage des périphrases, c’est Théramène qui nomme Phèdre le premier ;
Phèdre elle-même ne nommera pas directement Hyppolite (« fils de
l’Amazone »).
-> Hippolyte ne la nomme pas parce qu’il la déteste (// l’étrangère,
l’intruse), Phèdre ne le nomme pas parce qu’elle l’aime trop, et qu’elle est
effrayée par sa propre passion.
III)
1)
Thésée, héros double et image écrasante.
~ Thésée - personnage à double
face :
- Héros : récit de ses exploits
héroïques (« nobles exploits », cf. la Poétique d’Aristote) + mise en valeur de son courage et de son
honneur. Admiration.
- Coureur de
jupons : Travers amoureux. Echec paternel qui provoque le mépris
du fils, qui aimerait oublier cette « indigne moitié » de son père
(« moitié » fait aussi écho à Phèdre…).
~ Malgré l’absence, représente une omniprésence pesante : Thésée
nommé à chaque réplique.
=> On comprend d’autant mieux la culpabilité d’Hyppolite face à un amour que
son père réprouve ; Théramène, freudien avant l’heure, avance que c’est
cette interdiction qui excite la passion du jeune homme.
2)
Le présage d’un bouleversement : destin irrévocable ?
~ Hyppolite pressent le trouble ; il se reproche son oisiveté,
projette de s’enfuir.
> Désir d’identification : il
désire suivre les pas de son père, en imitant ses exploits, tout en se
distinguant en excluant tout déboire amoureux. En fuyant pour le rejoindre, il fuit
l’angoisse de l’amour, // le mauvais côté de son père.
=> Instabilité, passion, profonde affection.
~ Théramène évoque Icare : le
fils impétueux n’a pas écouté les conseils de son père, et en tentant de le
dépasser s’est brûlé les ailes.
Tension et pressentiment : trouble s’installe.
~ Théramène = rôle ambigu : #
raisonneur, pas de véritable fraternité, Il ne fait qu’assurer son
« emploi », il ne se reconnaît pas plus dans ses dires qu’Hyppolite
dans les siens.
=> Comme une suite d’accusations :
« Vous aimez », « vous brûlez », « vous
périssez », « vous dissimulez »…
> Aucune atténuation, utilisation du verbe « devoir », de
l’impératif « Avouez-le », condamne l’ignorance et la non-expérience
de l’impétueux Hyppolite, semble même évoquer l’irrévocabilité de la destinée : fuir ne sert à rien.
Conclusion :
Cette scène remplit ses fonctions de scène d’exposition (présentation de
l’intrigue, des personnages, annonce du trouble…) + annonce la scène de
l’horrible aveu de Phèdre. Maîtrise parfaite de Racine. Tragédie &
destin : les personnages prennent des décisions pour éviter le désastre,
mais ces décisions les précipitent d’autant plus vite dans l’abîme.